Aujourd’hui, ça paraît complètement fou : ni internet, ni téléphone portable. Pas même besoin de se demander si c’était mieux ou moins bien, le constat évident est que la vie était complètement différente.
Je ne me souviens plus exactement de l’année, mais je me rappelle qu’un été, mon père nous a annoncé que nous allions avoir Internet à la maison à la rentrée. A l’époque les forfaits étaient limités dans le temps, mais c’était déjà un truc de ouf ! L’abonnement impliquait un profil par utilisateur, lié à une adresse mail. Alors il nous dit : réfléchissez et choisissez votre identifiant. Nous créerons alors votre adresse. A cette époque, il ne m’est pas venu une seconde à l’esprit de choisir un pseudo en prénom.nom. Ce n’était même pas une question d’anonymat, vraiment je n’y pensais même pas. Il a fallu se creuser la tête, encore, encore et encore, jusqu’à trouver ce qui était le plus adéquat. Pas le plus adéquat au sens “technique” du terme. Pour décrire cette sensation, je la mettrais en parallèle avec ma première envie de tatouage. On cherche, on cherche, et à un moment, c’est le déclic : c’est lui, le bon motif, l’évidence.
J’ai l’impression qu’à cette époque, à savoir fin des années 90, début 2000’, le pseudo n’avait pas le même engagement que de nos jours. Je me souviens, par exemple, avoir eu au moins trois ou quatre pseudos différents dont je changeais à l’envie et selon l’humeur sur Caramail (oui vous prenez un coup de vieux). Les diverses applications, les sites, le nom affiché sur MSN Messenger… je ne sais pas pour vous, mais moi, je changeais tout le temps. La question de garder un pseudonyme s’est posée quand les sites permettant les comportements de socialisation sont entrés dans ma vie : l’idée était alors de pouvoir être identifiable d’une plateforme à l’autre pour les personnes que je connaissais et prenais plaisir à retrouver sur ces différents outils. C’est comme ça que je me suis retrouvée à créer un pseudonyme, qui deviendra une identité virtuelle - dans le sens où elle est numérique, mais pas dans le sens où la personnalité derrière cette identité est inventée - qui me suivra (et me suit encore) 20 ans plus tard.
A l’époque, ce pseudo est venu “tout seul” puisqu’il découlait de mon nom de plume dans le journal de la fac. Je l’ai d’abord utilisé pour mon blog, puis pour twitter, puis pour tout le reste. Il a été celui avec lequel j’ai signé les articles que je “pigeais” pour mes copains blogueurs, puis celui sous lequel j’ai commencé à faire du podcast. C’est sous ce pseudo que je suis devenue une personne virtuellement “visible” (puisque liée à des activités à destination d’auditeurices ou de lecteurices) et pendant longtemps cela n’avait aucune réelle conséquence sur mon quotidien, ou sur moi. Je ne suis pas certaine de ce qui a changé à un moment, ou plus probablement progressivement, mais l’identité que j’avais créée via ce pseudo, et derrière laquelle se cachait ma personnalité “réelle” de tous les jours, m’a échappé. Ma théorie est qu’avec l’engouement pour les personnalités “influenceuses” et les très nombreuses personnes en quête de visibilité qui y aspirent, la perception d’une partie du public des réseaux sociaux s’est détachée de la réalité. Comme si, à leurs yeux, derrière le pseudo se cachait forcément une personnalité “fabriquée”, tronquée, pour plaire au plus de monde possible (bien utile quand ton boulot est de vendre des trucs via ton nom). La façon dont cette identité, derrière ce pseudo, était perçue, n’avait plus rien à voir avec ce qu’elle était vraiment. Comme cette théorie de la communication qui explique que la façon dont est reçu un message que l’on envoie dépend de la perception de notre interlocuteur, du contexte, et de la façon dont il vous perçoit.
J’ai essayé de travailler sur cette dichotomie difforme, entre ce que j’envoyais et ce qui était perçu, mais en vain. Je me suis retrouvée à modifier mon comportement sous cette identité. Et j’ai détesté ça. J’ai détesté devoir ne plus être moi pour éviter les comportements désagréables ou inappropriés, et je me suis mise à le détester, lui, ce pseudo qui d’évidence n’était plus moi. Je me suis retrouvée dépouillée de ma création.
Quand je regarde en arrière, je n’imaginais pas à quel point créer un pseudonyme était un acte démiurge. Récemment je me suis demandé à quel point ce nom que j'avais imaginé pouvait m'échapper, à quel point il m’avait été dépouillé sans que je ne demande rien à personne. Devant tant d'impuissance, j'ai alors décidé de tuer petit à petit ce pseudonyme et la persona virtuelle qui se cachait derrière. De supprimer un à un les univers virtuels publics sur lesquels il apparaît, et de prendre l’équivalent d’une retraite bien méritée.
Et vous savez comment ?
En créant un nouveau pseudo.

