Durant mon premier cycle d’études supérieures, DEUG puis Licence (oui je suis de la génération à avoir passé le DEUG), j’ai vécu exclusivement en colocation. D’abord avec ma grande sœur, puisque nous faisions nos études dans la même ville. Ces deux années mériteraient à elles seules mille pages noircies tant elles ont été nourries d’anecdotes. Puis, ma sœur ayant terminé ses études, j’ai rejoint la colocation de copines de fac dans laquelle, la transition entre deux années universitaires aidant, une chambre se libérait.

L’appartement était du genre “ancien”, pas dans le sens d’insalubre, mais on pouvait voir les moulures le long des angles des plafonds, l’une des chambres été dotée d’une alcôve, arrondie en son chef, dans laquelle nous avions de façon ingénieuse casé notre petite télévision. De l’autre côté du mur, une magnifique cheminée (condamnée) de marbre décorait le coin d’une autre chambre. La troisième pièce (ma chambre) ne disposait pas de détail d’architecture de ce genre mais était tout de même largement douillette. La salle de bain était minuscule, au point qu’il était très courant de se taper le crâne contre le lavabo si vous étiez en train de faire pipi et que vous vous penchiez à peine pour regarder un truc.

Ma deuxième année dans cet appartement, les colocataires initiales parties, j’en ai gardé le bail et ai emmené avec moi ma meilleure amie de l’époque. J’ai investi la chambre à la cheminée (dont l’âtre, ôté de son destin , était parfait pour accueillir mon ÉNORME cartons à chaussures). La chambre à l’alcôve devint notre salon. Rapidement, nous avons imaginé décorer un peu l’appartement, puis lui donner de la vie. Mon amie n’étant pas très passionnée par cette activité, elle m’a donné carte blanche.

Le meilleur moyen à l’époque (et peut-être encore aujourd'hui) de trouver de la décoration pas chère, c’était d’arpenter les vide-greniers le week-end. Et heureusement, dans mon coin, il y en avait régulièrement ! Je me souviens arpenter les allées d’un des plus grands parcs de la ville, au milieu de la verdure, à la recherche de tableaux (j’adore les croûtes) et de vieux cadres pour accrocher quelques illustrations glanées ça et là. C’est alors que je tombe par hasard sur grande caisse en bois pleine de photos en noir et blanc. Je me saisis des cadres, mon objectif premier, mais mon attention s’arrête sur leur contenu : un couple de mariés, un énorme groupe immortalisé lors d’un repas, deux adultes et un enfant sur un chemin, probablement en randonnée, avec un superbe décor de montagne derrière eux… Pour une poignée d’euros, ils furent mien.

En rentrant à la maison, je m’armais de mon fidèle marteau et de petites attaches. Mon amie ne comprenais pas l’intérêt d’accrocher des photos de gens que l’on ne connaît pas, mais je trouvais ça amusant et poétique, alors elle me laissa faire. Au moment où je m’apprêtais à installer la photo de groupe, je parcourais des yeux cette grande assemblée en me posant milles questions : qui étaient-elles ? qui étaient-ils ? Pourquoi étaient-ils réunis ? Quand soudain mes yeux s’arrêtèrent sur un mystère : une femme qui se détachait des autres par sa quasi-totale transparence. Un fantôme.

A ce stade de l’histoire, je tiens à préciser mon lien au surnaturel. J’ai grandi en lisant des livres sur les grands mystères de notre planète, des phénomènes dont les preuves sont réelles, pour lesquels nous n’avons pour autant aucune explication (au moins dans les années 90) : les pierres qui se déplacent toutes seules dans le désert, les crânes de cristal, le triangle des bermudes, ou même l’installation de Stonehenge. Il y a ensuite les autres phénomènes dont on a ni preuve, ni explication : Le Monstre du Loch Ness, évidemment au top de ma liste, le darou (équivalent vosgien du dahu), ou encore les extra-terrestres et les OVNI (qui me fascinant terriblement à l’époque d’X-Files, cela va sans dire). Je me considère comme une personne spirituelle mais pas religieuse, comme cartésienne mais pas trop. Je suis totalement consciente que ces phénomènes sont faux ou explicables. Mais, parfois, je choisis de croire que ces choses sont magiques. Si ces croyances sont absolument sans effets secondaires dangereux pour l’entourage, s’ils sont au sens le plus premier inoffensifs, pourquoi ne pas privilégier une raison magique ? Par exemple, considérer que le Monstre du Loch Ness existe n’a pas d'incidence réelle (à part peut-être augmenter le revenu des commerçants d’Inverness) sur la société et les hommes. Cela ne me pose donc aucun souci. Alors que refuser de se lier/embaucher quelqu’un parce qu’il est du signe du gémeaux, comme j’ai pu en être témoin, me pose beaucoup de problèmes. Je précise que j'exclue délibérément la question de la religion de ce paragraphe ; on n’est pas là pour ça.

Bref, je n’en croyais pas mes yeux : sur cette photo se trouvait un fantôme ! J’en alerte immédiatement mon amie qui se moque gentiment de moi. Je la rassure en lui racontant la probable réelle raison, très scientifique et terre-à-terre, créée par un effet d’optique, de sa présence. Mais ça ne faisait rien, j’avais décidé que c’était un fantôme. Le fantôme de quelqu’un qui aurait aimé être à cette assemblée ? Un fantôme qui vole les petites cuillères au moment du dessert ? Un fantôme qui ne connaît personne mais adore s’incruster sur les photos ? Puis j'ai précautionneusement installé le cadre au mur.

J’ai passé de longues années à collectionner d’autres “photos d’inconnus” comme je les appelais. Je crois que j’espérais secrètement trouver une autre photo extraordinaire de façon hasardeuse. Je crois qu’au pinacle de la collection, je devais en avoir une vingtaine. Puis il a fallu déménager, et se défaire du dispensable. J’en ai abandonné deux, puis trois, plus cinq. Vingt ans plus tard, cette collection farfelue s’est complètement délitée. Enfin presque.

Evidemment. Je n’ai gardé qu’une seule photo.

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